Les malheurs de Gaito

Moi… Si on me posait la question… Si tu me posais la question… Je ne sais pas si j’aurais le courage de répondre. Je ne sais vraiment pas. Je n’a jamais vraiment songé à tout cela.

C’était tellement plus simple de t’ignorer, toi, tes questions, tes réponses. Tes envies, tes sourires. Tellement plus simple de faire semblant de te mépriser, de te détester même. Je savais que cela ne te plaisait pas, que tu pouvais en souffrir, mais je faisais tout pour t’oublier. Mais une chose m’en empêchait.

Cette chose, c’est… En fait, je ne sais pas ce que c’est. Je sais juste que je ne peux pas t’oublier, c’est tout. Ton regard brillant quand tu connais une réponse, ton sourire quand tu es heureuse, ton air faussement indigné quand ils se moquent gentiment de toi, tout cela m’est indispensable.

Pourtant, je sais très bien que nous ne serons jamais ensemble.

Nous sommes trop différents. Toi, tu es un ange de beauté et de pureté, moi un être vil et mauvais. Toi, tu es amoureuse de lui, et moi de toi. Quel cruel destin, tout de même. Si j’avais été à Gryffondor, aurions nous été amis ? Y aurait-il eu une différence ?

Je ne suis pas très doué pour exprimer mes sentiments, je l’avoue. Je suis sensé être froid et distant, pas gentil et timide, je sais, mais je n’y peux rien. Je suis ainsi. Ce n’est pas ma faute. Cela ne l’a jamais été.

Un jour, j’ai cru que cela avait changé. Je me sentais sûr de moi, je pensais réussir.

Seulement voila, quand je suis arrivé, Il était avec toi, il t’embrassait, et tu répondais. Je me suis senti mourir à ce moment. Je n’y aurais jamais cru. J’étais tellement sûr que ça se passerait différemment…

J’ai été bête, n’est ce pas ? Je ne suis rien pour toi, ni pour personne. Je ne compte aux yeux de personne, je suis juste de la chair à canon aux yeux de Lord Voldemort. Mon maitre. Pff… Tout cela est ridicule. Il sait très bien qu’il ne gagnera pas, si ? Ni toi, ni tes amis ne le laisseront réussir.

Et tu réussiras. Car tous ont confiance en vous trois, moi y compris. Et quoi qu’il arrive, je serais toujours près de toi, si tu as besoin de mes services. Même si je ne vaux rien à tes yeux. Même si je ne suis qu’un petit serpent ridicule devant une lionne resplendissante.

C’est peut-être ça, mon orgueil.

Cher Toi,

Normalement, on commence une lettre par une phrase du genre « j’espère que tu vas bien ». Sauf que je sais une chose : Tu ne vas pas bien. Tu n’iras plus jamais bien, n’est ce pas ? Tu ne peux pas aller bien.

Puisque Tu es mort.

Cela ne doit pas vraiment Te surprendre, j’imagine.

Cela fait cinq ans maintenant.

Tu Te demande pourquoi je t’écris, c’est ça ?

Je ne sais pas moi-même.

Je me demande pourquoi je ne suis pas encore morte. J’aimerai tellement l’être, pour Te rejoindre. J’hésite parfois même à me jeter du haut d’une quelconque tour, et de tout oublier, tout rejeter. Tout laisser, en espérant te retrouver de l’autre côté. S’il y a un autre côté. Je veux mourir. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour partir, pour te rejoindre, si j’étais sûre de moi. Mais il n’y a aucun courage à s’ôter la vie, tu l’as bien assez dit.

Toi, tu étais tellement courageux. Courageux au point de tout lâcher pour celle à qui tu tenais. Car tu tenais à moi, non ? J’espère, en tout cas. Je l’espère de toutes mes forces, du plus profond de moi-même. J’espère que Tu ne doutes pas de moi, qui tiens vraiment à Toi. Tu étais vraiment courageux, vraiment. Très courageux est faible, comme terme. Tout ce courage…

Et dire que tu t’es toujours arrangé pour que l’on te croie lâche et mauvais. Pour qu’ils te croient faible, ton frère, les autres Princesses. Tu avais trop peur, bien trop peur qu’ils comprennent.

Qu’ils comprennent qui Tu étais vraiment. Toi, avec tes forces et tes faiblesses, Tu avais peur d’eux. Tu avais peur d’avancer. Tu voulais rester au même endroit pour toujours, et détruire tous ceux qui Te faisaient peur. Les détruire avant qu’ils ne Te brisent.

J’aurais pourtant voulu que Tu comprennes comme j’avais compris. Que Tu comprennes que le pardon existait. Que Tu avais droit à une vie normale. Que tu avais droit de changer, de devenir un « gentil ».

Que Tu avais le droit de m’aimer si Tu le désirais, mon aimé.

Sauf que Tu étais aussi borné que moi, et même plus. Et Tu as choisi. Je n’ai rien pu faire pour t’en empécher.

Tu as choisi pour moi, pour me protéger de Toi, m’as-tu glissé. Mais je ne voulais pas que Tu me protèges ! Je préfèrerai être morte avec toi plutôt que de t’avoir perdu ainsi.

Tu as choisi.

Il fallait bien que cela arrive. Tu n’as pas accepté de perdre. Tu T’es battu jusqu’au bout, jusqu’à Ta dernière limite. Tu as ouvert un passage vers un monde sauvage, dangereux, autant pour Toi que pour nous. Et Tu as voulu au moins nous protéger, en voyant ce que Tu avais fait. Tu nous as protégés. Tu nous as même merveilleusement protégés, mon amour. En mourant.

Et Tu es parti.

M’emmenant avec Toi.

Je ne suis plus rien. A peine une coquille vide, remplie de souvenirs douloureux.

Je me souviens avec une oh combien cruelle précision de Tes yeux si inexpressifs, me rendant incertaine.

Face à Toi, je n’étais jamais sûre, j’avais toujours l’impression que je me trompais. Et cela me rendait tellement fragile que Tu semblais t’inquiéter. Je te prenais dans mes bras, essayant de me convaincre que Tu étais bien, à mes côtés. Je Te caressais les cheveux.

Tes cheveux si doux, de la soie entre mes mains.

Et puis tu parlais. Je me souviens de Tes intonations, de Ta voix, calme et doucereuse, toujours à la limite de la menace.
De Tes sourires, ironiques ou sincères, qui me faisaient trembler ou sourire à mon tour.
De Tes ailes d’ange, car Tu es mon ange, même si pour les autres Tu es un démon.
Et surtout, je me souviens de Ton rire, Ton vrai rire, celui que tous ignoraient, clair et cristallin, si rare.

Tout cela me maque cruellement. Je suis si pâle sans Toi, à peine une image. Une image dessinée dans le sable, que le vent déforme avant de la réduire à néant. Un pâle reflet de mon amour pour toi.

Tu me manques…

C’est trop dur…

Tu es parti trop tôt…

Je suis morte avec toi…

Cela fait cinq ans.

J’espère que tu m’as attendue…

Ai shiteru…

Itsumo…

S.

Cela faisait des années que la Princesse Rose, celui qu’elle aimait et les six autres Princesses s’étaient battus contre leur ennemi. Les pertes n’avaient pas été légères, et les blessures qu’il avait causées ne s’étaient pas refermées. Il restait leur pire ennemi. Et le fait que celui-ci, vers sa propre fin, se soit sacrifié pour détruire le désastre qu’il avait lui-même provoqué, ne changeait pas grand-chose. Il resterait un méchant.

Sauf qu’il y avait elle. Elle. Elle n’avait pas supporté. Trop de responsabilité, trop de pression, trop de regrets, et tout cela, seule.

Toute seule.

Sans celui qu’elle aimait.

Car, venait de le découvrir sa jeune amie, elle l’aimait. Elle aimait celui qui les avait attaqués, puis sauvés.

Elle avait lentement dépéri, devenant silencieuse et refermée, facilement irritable. Personne n’avait compris. Elle-même venait à peine de découvrir le fond du problème, car problème il y avait. Son amie était amoureuse.

Elle l’aimait trop pour l’oublier.

Elle l’aimait trop pour recommencer à vivre.

La Princesse Orange ne remplissait plus ses fonctions. Son royaume, reconstruit par les soins des autres Princesses, était devenu à peu près autonome. Bien obligé. Ils ne pouvaient pas l’attendre, même s’ils le voulaient. Ils devaient continuer. Tant bien que mal. Ils devaient apprendre à se débrouiller sans elle, car elle n’était plus vraiment là.

La Princesse de l’océan Indien, si jeune et pourtant si vieillie déjà, vieillie par les larmes, le sang, la haine. Elle n’était plus qu’une ombre. Les autres avaient beau vouloir l’aider, cela ne servait à rien. Elle était comme éteinte, elle ne vivait plus qu’au ralenti. Les larmes coulaient facilement sur ses joues, elle qui avant était si vivante et si têtue, au point de ne jamais montrer ses faiblesses…

Et pourtant, les autres gardaient espoir qu’elle cesse un jour de pleurer. Mais cela était peine perdue, et les Princesses, malgré leur bon vouloir, le savaient. Leur amie était morte depuis cinq ans déjà.

Si seulement leur ennemi avait été moins têtu, moins borné, mais non, il avait tenu à se battre.

Jusqu’au bout.


Et cela l’avait conduit à sa perte.

Et, aussi bizarrement que cela pouvait paraître, cela avait choqué leur amie profondément, très profondément. Tous supposaient qu’elle n’avait jamais vu quelqu’un mourir, et qu’elle ne s’en remettait pas. Mais, elles étaient dans le même cas, alors pourquoi… ?

Elles ne comprenaient pas.

Maintenant, elle, elle avait compris le pourquoi de l’état de son amie. La question était désormais comment la sauver… Car, elle était bien placée pour le savoir, l’amour est une maladie quasiment mortelle, et une fois qu’on était atteint de cette maladie, il y avait peu de chances d’en guérir un jour…

La Princesse Sirène toqua discrètement à la porte de la chambre de son amie. Elle avait décidé de l’emmener dans le monde des humains, pour la distraire de ses sombres pensées. Et aussi de discuter de ce qu’elle avait découvert. Il fallait que la Princesse l’oublie.

Bien qu’au fond d’elle-même, elle savait que c’était impossible.

Elle n’entendait pas de réponse. Réitérant son geste, elle n’entendit à nouveau que le silence. Elle prit peur et ouvrit la porte en grand.

Vide.

La pièce était vide.

Elle était partie.

Elle sortit du palais, chercha dans les environs, puis appela ses amies. Non, la Princesse disparue n’était pas chez elles. Elles allaient chercher dans les environs de leurs châteaux. Elle acquiesça, puis se remit à chercher.

Après une petite heure de recherche, la Sirène sursauta et se mordit les lèvres de rage et d’inquiétude. Mais oui, comment n’y avait-elle pas pensé avant ? Elle était là-bas. Elle y était forcément. A l’endroit où il était mort.

Elle se dépécha, nageant de plus en plus vite, espérant arriver à temps. Elle arriva près des vieilles ruines, et appela le nom de son amie.

Aucune réponse.

Entrant dans le dédale de pierres encore debout, elle chercha en appelant le nom de la Sirène. Elle nagea de son mieux, et finit par la voir, assise, à l’endroit qu’il aimait le plus, selon ses propres dires.

Allongée, flottant doucement dans une mare de sang.

Elle ne put réprimer un cri.

S’agenouilla auprès du corps encore tiède de l’autre, et tenta de la réveiller. Tâtant son pouls, elle vit qu’il était trop tard. Elle était morte.

Morte.

Comme lui.

Lettre adressée aux Princesses Outremer, Verte, Violette, Indigo et Jaune :

C’est moi.

… Comment commencer cette lettre… J’avoue être un peu perdue. Un peu moins que vous ne le serez dans quelques minutes, mais bien suffisamment à mon goût.

C’est difficile à écrire…

Mais je dois le faire, alors…

Ne m’en veuillez pas.

J’espère que vous allez toutes bien. Je suis désolée de vous l’annoncer aussi durement, mais notre Princesse Orange est morte aujourd’hui. Plus exactement, elle s’est suicidée. Je sais, c’est difficile à croire, du moins ça l’aurait été avant. Mais je suppose que vous avez comme moi remarqué ses faiblesses et son état.

Je comprends votre surprise. Hier encore, je n’aurais pas su pourquoi elle aurait fait ça, mais tout est différent à présent. Je sais aussi ce qui a tout déclenché.

Et je sais que je dois faire quelque chose.

En quelque sorte, accomplir sa dernière volonté.

Je vous envoie bien cette lettre pour vous apprendre la nouvelle, mais aussi et surtout pour quelque chose d’autre.

Je vous envoie cette lettre pour rétablir l’honneur d’une certaine Personne, que nous haïssions toutes il y a quelques temps, ainsi que la vérité sur celle qui l’a suivi dans la mort.

Vous savez toutes de qui je parle.

Notre ennemi.

La feu Princesse Orange, paix à son âme, Lui aura survécu cinq ans.

Cinq années de doute, de tristesse et de mort lente, je m’en rends compte à présent.

Vous savez toutes, j’imagine, ce que c’est d’aimer un être, alors imaginez le perdre.

Car oui, elle L’aimait.

Et moi, je trouve ça magnifique.

Vous vous demandez comment je sais ?

C’est très simple.

Notre regrettée Princesse a laissé une lettre.

Elle Lui est destinée.

Et dans cette lettre, elle dit tout ce qu’il y avait à dire.

Ces deux là étaient vraiment amoureux l’un de l’autre. Vraiment très amoureux. Ils s’aimaient, mais leurs positions respectives les empêchaient de se l’avouer. A présent, je me pose la question : Qu’aurait été leurs vies s’ils avaient choisi de se dire la vérité ? On peut espérer que cela aurait été merveilleux.

Mais cela n’est pas arrivé. Je sais… Non… Nous savons toutes très bien ce qui s’est passé ce jour là.

Je suis désolée pour ce qui leur est arrivé. Je n’ose imaginer ce que j’aurais fait si cela m’était arrivé.

Je suis triste, très triste.

Je ne sais pas pourquoi Il nous a sauvées ce jour là, mais maintenant j’ai mon idée.

Il voulait se racheter aux yeux de celle qu’il aimait.

J’espère qu’ils sont ensembles, et heureux, là-haut. Qu’ils ont enfin pu se dire la plus belle des phrases que l’on peut prononcer à celui ou celle qu’on aime…

Ai shiteru…

Se le sont-ils dit un jour ?

J’en doute, aussi j’espère que là haut ils ont osé.

J’espère les revoir un jour…

A bientôt, mes amies.

L.