Challenge!

Huit heures du matin :

Ceci est un journal privé, à ne lire sous aucun prétexte.

Il est temps que je me lève, je crois.
Je n’ai pas envie.
Je n’ai plus goût à rien, ces temps ci.
Ni à me lever, ni à chanter, ni à discuter avec mes proches.
Je m’appelle Sara, au fait.
Je suis une Sirène.
J’ai treize ans.
Je suis la septième Princesse, celle de l’océan Indien, celle de la Perle Orange, et la plus âgée des Princesses actuellement en vie.
Je suis censée protéger mon océan de toutes mes forces, me battre uniquement pour lui, penser à lui à tous les instants.
Princesse.
On devrait plutôt dire « Protectrice », ou « Servante ».
Ce n’est pas vraiment un rôle amusant, bien au contraire, c’est une lourde responsabilité.
Très, très lourde responsabilité.
Surtout pour une adolescente de treize ans.
Et ça m’énerve.
Ça m’énerve vraiment.
Parce qu’à cause de ça, je ne peux pas être avec Tarô autant que je voudrais, et je ne pourrai même jamais m’afficher avec lui en public.
Tarô…
C’est un musicien.
Pianiste et compositeur.
Brun aux yeux rieurs.
Je ne fais pas ces rimes exprès, promis.
Je ne dis que la vérité.
Je l’aime.
Je l’aime beaucoup.
Autant que l’on peut aimer un humain, je pense.
Mais je n’ai pas, et n’aurai jamais, le droit de l’aimer.
C’est un homme de la surface, et moi une princesse de la mer.
Un humain, avec une Princesse Sirène ?
Ce n’est pas possible.
Du moins, ce n’est pas « convenable ».
Mais je me fiche des convenances.
Mais aujourd’hui est un grand jour.
Je vais passer la « cérémonie du passage à l’adulte » et ensuite, je m’enfuirai avec Tarô.
Il sera là, à m’attendre, près de la grande ville.
Et nous partirons, loin de tout.
Il me l’a promis.
Il tiendra sa promesse, je le sais.
Il tient toujours ses promesses.
C’est un homme d’honneur.
C’est une de ses grandes qualités.
Je dois vraiment me lever, cette fois.
J’écrirais à la fin de la cérémonie.

Midi :

J’ai passé la cérémonie sans trop de problèmes, comme on s’attendait à ce que je la fasse, enfant docile et calme, sans complexes ni colères.
Bref, le contraire de ce que je voudrais montrer.
Le contraire de ce que je suis.
Car je suis une petite fille colérique, capricieuse et égoïste.
J’exagère à peine.
Même si lui ne me dirait jamais ça.
C’est le plus grand baratineur que je n’ai jamais vu, quand il s’agit de me faire des compliments.
Et quels compliments !
Il me fait rougir de la racine des cheveux jusqu’au bout de ma nageoire.
Et ça le fait rire, en plus !
…
Je l’aime.
Je l’aime.
C’est ma seule certitude.
Je ne pourrai jamais ressentir ces sentiments pour quelqu’un d’autre.
On en revient à la cérémonie, vu que c’est quand même important.
Pour les sirènes, en tout cas.
Aqua Regina m’est apparue.
La déesse des océans.
Je dois reconnaitre que notre déesse est très belle, et qu’elle est aussi très intelligente.
C’est ce qu’on attend d’une déesse, je suppose.
Mais si elle à compris que je m’enfuirais avec Tarô, elle n’a en tout cas rien dit.
L’a-t-elle lu en moi ?
Je ne pense pas.
Elle l’aurait dit aux autres.
Quoique, comment savoir ?
Je me prépare pour aller au rendez-vous avec Tarô.
J’ai enlevé la tenue de cérémonie.
Ce serait trop voyant.
Je ne l’aime pas, de toute façon, cette tenue.
Trop brillante, trop propre, trop belle pour moi.
Et puis, si je me transforme en humaine, ça ne servira à rien.
Ce sera la première fois que j’irais plus loin que la maison de Tarô, en humaine.
Je ne connais rien de la vie des humains.
Serais-je capable de m’y adapter ?
Serais-je capable de m’en sortir, sans personne pour m’épauler, à part Tarô ?
…
Je ne sais pas.
Je n’en sais rien.
J’espère, en tout cas.
Je ne veux pas décevoir Tarô.
C’est pour lui que je laisse tout tomber.
C’est pour lui que j’y vais.
C’est pour lui que je renonce à mon rôle de Princesse.
J’y vais, il est temps.

1 heure de l’après midi :

Je n’arrive pas à y croire.
Je ne veux pas y croire.
Je ne peux pas y croire
Pincez-moi, dites moi que ce n’est qu’un rêve…
Yume to ite…
Dis-moi que ce n’est un rêve…
Qu’un cauchemar…
Tarô…
Sa silhouette s’éloigne lentement du bord du quai.
Sa silhouette disparait dans la nuit.
Il m’a juste dit qu’il ne pouvait pas rester avec moi.
Qu’il ne m’aimait pas.
Qu’il repartait aux Etats-Unis.
Que je devais repartir dans l’océan et le protéger, que c’était mon devoir de Princesse.
Mais… Je ne veux pas, moi…
Tarô…
Pourquoi fait-il ça ?
Pourquoi ?
Qu’ai-je fait pour mériter cela ?
NE ME LAISSE PAS !
Pourquoi ai-je si mal ?
Tarô, où vas-tu ?
Pourquoi ne m’emmène-tu pas ?
Que t’ai-je fait ?
Que c’est il passé ?
Pourquoi ?
NE ME LAISSE PAS !
Je t’en prie…
Je souffre…
Tu ne le vois pas ?
Et pourtant j’ai l’impression de mourir…
Les larmes coulent sur mes joues, je n’y vois plus rien…
Je n’essaie même pas de les arrêter…
Cela ne servirait à rien…
Je continuerai tout de même de pleurer…
L’eau salée coule sur l’encre, et l’efface à moitié…
Pourtant je continue d’écrire…
Je n’ai pas le choix…
C’est le seul moyen que j’ai pour essayer de comprendre…
Tarô…
Tarô…
Pourquoi est ma seule question, je t’en prie…
Je t’en supplie, Tarô, réponds…
Réponds…
Aie au moins ce courage…
NE ME LAISSE PAS !
TARÔ !!!

Bien longtemps plus tard, quatre heures de l’après midi :

Ces pages sont si vieilles…
Pleines d’encre, de larmes.
Et pourtant je ressens encore les mêmes sentiments…
Je demande encore à quelqu’un de m’attendre, de m’expliquer, de m’emmener avec lui si c’est la seule et unique solution.
Mais, ce n’est pas la même personne que je supplie aujourd’hui…
Et cela rend la tâche encore plus difficile.
Parce que la personne est encore plus têtue…
Gaito…
Le Roi des Panthalassiens…
Grand, yeux tristes et cheveux d’argent.
Il est beau, lui aussi.
Mais une beauté différente de celle de Tarô.
Sauvage, triste et trahie.
Trahie par qui ?
Par moi.
Je l’ai trahi.
Je suis si bête.
Incapable de choisir mon camp, incapable de choisir mes sentiments.
Je comprends sa décision, en un sens.
Mourir avec son château comme le capitaine coule avec son navire…
Je l’ai trahi, parce que je l’aime.
Comment lui expliquer ?
Il ne comprendrait pas.
Il est encore plus têtu et borné que moi.
Ce qui n’est pas forcément un défaut.
Mais je l’aime au point de vouloir le meilleur pour lui.
Au point de vouloir le protéger de lui-même.
Il aurait tout détruit pour moi.
Mais j’ai compris que c’était mal.
J’ai voulu l’arrêter.
Pourquoi ne pas m’avoir écoutée, Gaito ?
Pourquoi choisir la mort ?
Je ne veux pas que tu meures.
A moins que tu me laisses mourir avec toi.
Disparaitre avec toi, laisser Tarô en paix.
Une belle fin, je pense.
Pourtant, je ne veux pas que tu disparaisses, même si je suis avec toi.
Laisse-moi te montrer la vie.
Celle que tu n’as pas connue.
Que je ne connais pas vraiment non plus.
Viens, je t’en supplie.
Viens pour montrer à tous que tu n’es pas sans cœur.
Laisse-moi faire fondre la carapace dont tu t’entoures pour te protéger d’un danger qui n’existe pas, qui n’existe plus désormais.
Je t’en prie, arrête de te faire du mal.
Je viens te chercher, laisse moi t’aider Gaito, je t’en supplie…

Un an plus tard :

Aujourd’hui j’ai tout pour être heureuse je crois…
Ce journal n’aura bientôt plus de raison d’être, et je fermerai à jamais ce carnet…
J’ai vécu des choses tour à tour terrifiantes, magnifiques, bouleversantes ou porteuses de joies cette année.
J’ai vu la nouvelle Princesse Orange naître, bien que je sois encore présente.
Mais nous arriverons forcément mieux à reconstruire mon royaume, qui est aussi le sien désormais, à deux…
J’ai vu un nouvel ennemi apparaître, je l’ai combattu avec les autres Princesses, j’ai vu de nouveaux Panthalassiens surgir.
J’ai connu des gens formidables et j’en ai vu disparaitre aussi…
J’ai vu la force de l’amour gagner encore une fois…
Et maintenant je pense que je peux dire que j’ai réussi ma mission de Princesse.
Seira et moi sommes pareilles à deux sœurs, qui veillent avec bienveillance sur un océan qui se repeuple doucement.
J’ai trouvé l’amour, comme quatre des autres Princesses.
Tout va pour le mieux désormais, et surtout aujourd’hui…
Aujourd’hui ce jour merveilleux…
Je porte une tenue presque semblable à celle que je portais pour la cérémonie…
Mais c’est pour une autre occasion que je la porte…
Je me rappelle que, plus jeune, je voulais me marier avec Tarô, et porter une somptueuse robe blanche…
Pourtant c’est au bras de quelqu’un d’autre, et dans une robe orange, que je suis aujourd’hui debout dans cette église.
Aujourd’hui est un jour spécial.
Aujourd’hui est le jour…

« Gaito-san, voulez vous prendre comme épouse Sara-san ici présente ? »
« Oui. »
« Et vous, Sara-san, voulez vous prendre Gaito-san pour époux ? »
« Oui. »
« Alors je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage ! »

Aujourd’hui est décidément le plus beau jour de ma vie.