Les malheurs de Gaito

Mon passé, mon présent, mon avenir
Tu es tout cela à la fois
Tu es mon devenir
Tu es tout cela pour moi
Pourquoi faut-il donc que tu t’en ailles ?
Je n’en peux plus, réponds-moi
Je veux, vaille que vaille
Te protéger, au-delà de mes forces, de mon cœur, de moi
Je t’en prie, je t’aime
Je ne peux supporter la vue de ta face qui de me quitter est si blême

Il marchait depuis un moment déjà, las de tous les ennuis qui lui tombaient dessus à chaque instant. Au bout d’un long, d’un très long moment, il finit par s’arrêter, tremblant, incapable de continuer à marcher. Il appuya la tête contre un mur, se retenant de se frapper avec. Il n’en pouvait plus. Il n’en pouvait vraiment plus. Tout était trop dur pour lui, bien trop dur. Il n’y arriverait pas. Il la perdrait. Il l’avait presque déjà perdue. Elle allait partir loin de lui. Pour toujours.
Elle lui avait dit qu’elle reviendrait le voir. Qu’il ne serait pas éternellement seul. Que ce n’était pas un « adieu », mais bien un « au revoir ». Qu’ils pourraient un jour être ensemble. Il n’y croyait pas. Les siens ne la laisseraient pas repartir, pas plus qu’ils ne le laisseraient approcher. Ils ne les laisseraient jamais, jamais, jamais se revoir. Ils voulaient les séparer pour toujours, et tous deux le savaient. Ils le détestaient. Ils détestaient ce qui le reliait à leur princesse, leur lumière, leur espoir, leur précieux trésor. Ils le détestaient pour ce qu’il avait fait, ce qu’il était, ce qu’il représentait. Ils le détestaient, et lui leur rendait bien, très bien même. Il les détestait pour ce qu’ils lui prenaient, ce qu’ils lui volaient. Elle. La seule qui pouvait encore le sauver, la seule à en être encore capable, la seule à le vouloir, d’ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’ils le jalousaient. Ils jalousaient le lien qui existait entre eux. Ils jalousaient leur amour.
Parce qu’ils s’aimaient. Oui, ils s’aimaient. Ces deux là s’aimaient, envers et contre tout, prêts à mourir l’un pour l’autre, prêts à tout donner, même leurs vies, même leurs âmes, juste pour se revoir. Une dernière fois.
Ils s’aimaient.

Je ne veux pas que tu partes là-bas
Je ne veux pas rester tout seul
As-tu vraiment besoin de ça
As-tu vraiment besoin de ces gens, si veules
Je t’en prie
Souris
J’aimerai te serrer dans mes bras
Te sourire, te réconforter
Je ne peux même pas faire cela
Prisonnier des convenances, prisonnier

Il était bien prisonnier. Prisonnier des règles, prisonnier des lois, prisonnier des traditions. Prisonnier de tout ce qui était « bien », de tout ce qui paraissait « normal », de tout ce qui était « sain » pour elle. Qu’avaient toujours signifié les règles, pour lui ? Pourquoi n’essayait-il pas de la garder près de lui ? Il connaissait la réponse : Il ne la méritait pas. Il n’était pas plus libre qu’un chien, en fait. Le chien noir de la portée, celui qu’on rejette à cause de sa différence, celui qu’on maltraite, qu’on insulte, qu’on rêve de voir mort. Il était celui là, cette bête sanguinaire que tous haïssaient. Et elle, elle était la magnifique louve blanche et pure, incapable de haïr, qui répandait le bonheur partout, que tous aimaient, que personne ne détestait. La perle. Et ils voulaient la lui enlever. Ils voulaient les séparer. C’était impossible. Ils ne pouvaient pas. Il ne devait pas laisser faire ça… Il devait résister…
Il se frappa la tête contre le mur. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas la retenir, c’eut été lui briser les ailes. Il n’en avait pas le droit. Elle voulait partir. C’était son choix. Elle l’abandonnait. C’était son choix. Elle le laissait seul. C’était son choix. Elle ne pourrait pas revenir. Ce n’était PLUS son choix.
Il frappa le mur avec son poing. Il devait à tout prix empécher cela, à tout prix. Il devait la sauver. Il devait la protéger. Il devait. Mais… Comment pouvait-il juger de ce qui ferait son bonheur ? La réponse était simple : il ne pouvait pas. Il n’en avait ni le droit ni le pouvoir. Il était bête. Il était mauvais. Il était aussi noir qu’elle était blanche.
Le bien et le mal. Le jour et la nuit.
Elle et lui.

Je veux te revoir
Une dernière fois, un dernier soir
Avant que nous nous séparions pour toujours
Mais, à mes appels et mes cris
Ils semblent sourds
Ce qu’ils ressentent pour moi… N’est-il donc que mépris ?
Un jour on se retrouvera
Mais ce sera bien trop tard
Tout sera fini et ensemble on mourra
Tout ça, tout ça, moi j’en ai marre

Il en avait décidément assez. C’était toujours sur lui qu’ils murmuraient, chuchotant des mensonges sur son passage. Répandant de fausses rumeurs à son égard. Se moquant de lui. Il était excédé. Ils étaient pitoyables. Et lui devait se retenir de toutes ses forces pour ne pas répliquer en hurlant sa haine et sa rage. Il était faible. Trop faible. Il serait brisé au moindre souffle de vent.
Il devait déjà prendre sur lui pour la laisser partir, mais vivre en reclus, seul, était trop dur pour lui. Ses compagnons, attirés par sa puissance ou son idéal, ou tout simplement dévoués à lui, n’étaient pas de vrais amis. Il ne pouvait les en blâmer : après tout, c’était de sa faute. Cependant… Il devait avouer qu’il ressentait un pincement au cœur en la voyant rire au milieu des siens. Elle était à sa place. Pas lui. Lui le grand solitaire mauvais et fermé sur lui-même. Elle, au contraire, était totalement ouverte aux autres, souriante, gentille. Elle méritait d’avoir une vie ensoleillée, au milieu de gens qui la respectent, et non pas une vie méprisée auprès de lui. Il le savait. Et il voulait le meilleur pour elle, ce meilleur qu’il ne pourrait jamais lui offrir, par bêtise, par peur, par méchanceté, par faiblesse. Il sourit amèrement. Il ne la verrait plus. Plus jamais. C’était terminé.
Soudain, il sentit un souffle léger dans son cou. Se retournant, il faillit sursauter. Elle était là. Près de lui. A le regarder.
Elle le serra dans ses bras. C’était une étreinte d’adieu. Une dernière étreinte. Il retint ses larmes jusqu’au bout, il n’avait pas le droit de pleurer. Tant qu’il sentirait les perles salées qui coulaient des yeux de la jeune fille, il ne pleurerait pas. Il l’aimait trop pour cela. Il l’aimait. Pour toujours.

Deux enfants jouaient dans la neige fraiche, sans se préoccuper du village, loin au dessous d’eux. Ils étaient tous deux très affairés à la création d’un énorme bonhomme de neige. Sans échanger un mot, la petite fille partit chercher des branches et des cailloux, pour les bras, les yeux, le nez et la bouche du bonhomme. Le petit garçon continua de polir la surface froide de ses mains rougies, les yeux dans le vague. La petite, revenue, lui demanda silencieusement de l’aider à les placer. Il la prit sur ses épaules, et elle enfonça les branches et les cailloux en s’appuyant sur le bonhomme. Ils sourirent en voyant leur œuvre, puis le petit garçon s’effondra dans la neige. Il se laissa glisser dans la pente, et son amie le suivit en riant. Puis le garçon dressa l’oreille, écoutant un appel lointain, et commença à s’éloigner. L’autre l’appela, un peu triste :
- Tu t’en vas ?
- Oui.
- Tu vas où ?
- Je vais voir ma mère. Elle a besoin de moi.
- Ta mère ?
- Oui.
- Elle est comment, ta mère ?
- … C’est une sorcière. Elle voit les esprits, et je les vois aussi.
- Ah ? … Dans ce cas, je suis un peu une sorcière aussi.
- Tu les vois ?
- Oui. Mais mes parents disent que le shogun brûle les sorcières, donc je ne le dis pas, d’habitude.
- C’est vrai, on brûle les sorcières. Et tu en es une…
Elle cligna des yeux, effrayée. Mais il leva la tête. L’appel sembla s’amplifier, prenant une teinte angoissée. L’enfant reprit son chemin, pressé, et tentant d’accélérer dans la poudreuse froide. La fille tenta, une dernière fois, de le retenir :
- Comment tu t’appelles ?
- … Asaha-Douji. Non. Mappa-Douji.
Elle sourit :
- Jeanne, simplement Jeanne.
Troublé, il se détourna et partit, en lançant gentiment :
- Eh bien, au revoir, Jeanne.
- Au revoir, Asaha-kun.



Demain aura lieu la finale. La finale du Shaman Fight. La finale du tournoi. Et je vais gagner. Il ne peut en être autrement.
Je suis Hao Asakura, anciennement Pache Hao, et plus anciennement encore Mappa Douji ou Asaha Douji. J’ai vécu trois vies : l’une en temps que « fils du démon », la deuxième en temps que Pache et la troisième en temps qu’Asakura, avec la vision étroite qu’ils ont du monde.
Je vais affronter l’Iron Maiden Jeanne demain. Car, soyons réalistes, ce n’est pas contre Lyserg Diethel ou Marco que je vais me battre, et ni Rackist ni Opachô ne me seront d’un grand secours. Ils sont forts, certes, mais Maiden est la seule qui pourrait vraiment m’inquiéter. Et elle est plus forte que Rackist. C’est bien dommage que j’ai à la combattre. Elle me serait bien utile, si elle n’était pas si… Avide de justice. Une justice fausse, d’ailleurs. Une justice qu’elle base sur ce que lui ont enseigné Marco et Rackist.
Dommage…
Mais bon, ce n’est pas grave. Elle ne me fait pas peur. Son fouryoku d’à peine 500 000 points ne vaut rien face à ma force. J’ai pratiquement le triple de fouryoku. Elle n’a aucune chance. Aucune chance. Je le sais, et elle aussi.
…
Opachô m’appelle. Je le suis, conciliant, jusqu’à sa trouvaille.
Un bonhomme de neige.
C’est vrai, la neige à recommencé à tomber depuis quelques temps. J’avais presque oublié ce genre de choses.
… Pourquoi me rappelle-t-il quelque chose, ce bonhomme de neige ? J’ai l’impression de l’avoir déjà vu. Comme si il était un rappel. Mais un rappel de quoi, ça, mystère.
Apparemment, Opachô veut le finir. Et il a besoin de moi pour atteindre la tête du bonhomme, et poser les cailloux dessus.
Je sursaute. Ce geste… J’ai l’impression de l’avoir déjà fait… Il y a bien longtemps… Je me souviens… Un bonhomme de neige… Moi faisant la courte échelle…
Opachô m’appelle. Il s’étonne de mon sursaut et mon immobilité. Je souris, le porte, l’aide à enfoncer les cailloux, touche la neige froide de mes mains nues. Je n’ai pas froid. Je n’ai plus froid depuis longtemps. Mais… J’ai l’impression… Il y a longtemps…
Ma première vie…
Feu.
Je vais ramener Opachô à l’auberge. Je ne me sens pas très bien, tout d’un coup.


Feu.
Neige.
Craquements.
Le petit garçon tenta désespérément d’approcher de la maison en flammes. La neige froide le glaçait, mais elle fondait presque immédiatement sous la chaleur destructrice. Il sentait le feu, près de lui, crépiter doucement. Il hurlait, appelait, cherchait sa mère. Il ne la trouva pas. Le feu l’empêchait d’approcher plus. Il hurla. Des hommes approchaient, tentant de l’encercler. Il fuit. Il avait peur. Il vit la bâtisse s’effondrer, et entendit un dernier cri venant de l’intérieur. Il en fut paralysé. Les hommes s’approchèrent. Une pierre l’atteignit à l’arcade sourcilière. Il tomba, se releva et partit en courant, incapable de réagir autrement.
- Le fils du démon !
- Il s’enfuit !
- Rattrapez-le !
Il n’en pouvait plus, il pleurait à moitié en se cachant dans la forêt, loin du village. Loin des ruines de sa maison. Loin du corps brûlé de sa mère. Il pleura.
Cris.
Neige.
Feu.



- Hao-sama ?

Je me tourne vers Rackist. Rackist est un grand sec, ancien X-laws, remarquablement fort et intelligent. Je crois que j’aime bien Rackist. Je crois. J’ai toujours eu du mal avec les sentiments humains.
Sans doute depuis ce jour là.
Bref. Je n’ai pas à m’étaler sur un passé que j’ai relégué au fond de mon esprit. Ce qui compte, c’est d’être en forme pour demain. Oui. En forme pour la finale.

- Hao-sama ?

- Oui, Rackist ?

- Opachô est parti se coucher. J’ai remarqué plusieurs X-laws non loin de l’auberge, des espions sans doute. Puis-je les détruire ?

- … Non. Je vais m’en charger, ce sera un bon entrainement pour demain. Vas te coucher, Rackist.

N’importe qui s’étonnerait de voir un adulte aussi grand que Rackist obéir à un adolescent comme moi. Mais n’importe qui ne serait pas ici. N’importe qui ne serait sans doute pas capable de comprendre la teneur de notre discussion. N’importe qui, le non-Shaman moyen, l’imbécile heureux.
Mah, on peut dire que je m’y attendais. Les X-laws sont tous pareils. On peut juste espérer que Lyserg et Maiden ne sont pas au courant, et que Marco fait ça en solo. Comme d’habitude.
C’est un imbécile qui surprotège Maiden, qui est aussi nul que ne l’était son commerce de voitures, et qui me déteste autant que je le méprise. Pfff.
Il ne me fait pas peur.
Rien ne me fait plus peur.


Feu.
Neige.
Vent.
Elle tomba, frissonna, puis se releva et reprit sa course. La fillette s’enfonçait dans la neige, se relevant pour tomber immédiatement. Les hurlements de ses poursuivants la poursuivaient et l’empêchaient de s’arrêter. Elle ne pouvait s’empêcher de pleurer, perdue et gelée qu’elle était. Il ne la voyait pas très bien, car elle faisait de grands détours pour perdre ses poursuivants. Elle était poursuivie. Le shogun l’avait retrouvée. Il avait brûlé sa maison.
- La sorcière !
- Rattrapez-là !
- Tuez-là !
Il se tint à distance, ne pouvant rien contre la force aveugle et destructrice de ces hommes. Pourtant, il se jura d’un jour détruire ces imbéciles. Un jour. Un jour il serait assez fort. Il se le jura. Puis disparut dans la nuit.
Destruction.
Neige.
Feu.

Le match va commencer. X-I VS Hoshigumi.
En demi-finale, j’étais contre l’équipe The Ren. Ils ont perdu lamentablement, en bons gentils qu’ils étaient. Ils sont morts. Je ne les plaindrais pas, c’est moi qui les ai tués. Comme j’ai tué les X-Laws, hier.
X-I a battu Fumbari Onsen. Je ne savais pas Yoh capable de perdre. Mais Faust et son fantôme se sont fait battre par Marco, Ryu par Lyserg et Yoh n’a pas pu s’empécher d’avoir peur pour ses amis. Son fouryoku a rencontré celui de Maiden. Et il a perdu.
Il vit encore, je crois. Il est très faible, d’après ce que j’ai entendu. Mah, je m’en fiche. C’est ma moitié, certes, mais perdre contre Maiden… Pff… Laissons tomber. Il est trop faible.
C’est bon, je suis en face d’elle. Marco et Rackist se font face, les deux anciens amis. Quand je pense qu’ils ont élevé Maiden ensemble… Comme quoi l’amitié ne mène à rien. Opachô face à Lyserg ? Non, il ne faut pas pousser, quand même. Opachô n’est pas à la hauteur du gamin aux cheveux émeraude. Même s’il est fort.
Nous voilà donc à deux contre trois. Mah, je vais m’occuper de Lyserg en premier. Rackist et Marco se débrouilleront l’un contre l’autre, je pense.
Donc, Spirit of Fire contre Morphin, Zezel et Shamash. Merveilleux. J’ai dit merveilleux ? Non. Facile.
La vitesse de son pendule est en effet impressionnante, et son ange ne l’est pas moins, mais Lyserg reste un enfant. Il donne toute sa force, l’envoyant à tort et à travers, dans toutes les directions. Un enfant.
Mon esprit tranche le fil du pendule, coupe l’ange en deux et assome le Shaman. Du travail bien fait. Il ne se réveillera pas de si tôt.
Et je vais m’assurer que son repos soit éternel.
…
Voilà, c’est fait.
Je jette un coup d’œil à Rackist. Lui et Marco sont épuisés. Je vais en finir. Spirit of Fire… Et voila, Maiden est toute seule. Seule.

Seule. Seul.
…
Qu’est ce qui m’arrive ? Je me souviens… Non…
…
Feu.
…
Je ne sais pas ce qui vient de s’en passer, mais après tout, ce n’est pas grave. Rackist s’est replié derrière moi, et voilà.
C’est au tour de Maiden. De Jeanne.
Le voilà, le face à face que j’attendais.
Elle essaie de m’atteindre directement ? C’est vrai que c’est son style de combat, mais c’est bête d’essayer ça contre moi. Ce genre de choses ne peut marcher.
Bon… Allons-y.
J’évite ses diverses attaques. Tous espèrent qu’elle me vaincra, que ce combat, qui a si mal commencé pour elle et ses larbins, se transformera en une miraculeuse victoire, qu’elle réussira à sauver ce monde. Fadaises. Elle va perdre. S’en rend-elle compte ?
Je pense que oui. Tant mieux.
Une attaque, une autre. Shamash recule. Jeanne semble faiblir. Déjà ? Mah, c’est vrai qu’elle n’a que 500 000 points de fouryoku. Elle est faible. Elle n’a presque plus de défenses.
Spirit of Fire l’attrape, l’enserre dans une de ses larges mains. Voilà, c’est fini. Elle a perdu. Je me rapproche d’elle, lui sourit. Elle me crache au visage. Je m’essuie d’un revers de manche.

- C’est vrai, on brûle les sorcières. Et tu en es une…

Feu.
Je cligne des yeux, elle aussi. Ce sentiment de déjà-vu…
Feu.
Jeanne le ressent aussi, j’en suis sûr… Je…
Feu.
Je ferme les yeux.

- Eh bien, au revoir, Jeanne.
Elle frémit.

- … Au revoir… Asaha… Kun ?

Je rouvre brusquement les yeux.
Elle brûle.
Elle meurt.
Je soupire, referme les yeux.
Je souris.
Je suis triste.
Je m’effondre.



Deux corps blottis l’un contre l’autre. Deux souffles précipités. Deux regards effrayés.
Les deux enfants avaient peur. Ils tremblaient, encerclés par les hommes du shogun. Ceux-ci souriaient. Ils avaient enfin rattrapés les enfants du démon.
Un sourire démoniaque traversa le visage du shogun.
Les deux enfants fermèrent les yeux.
Moururent.
Neige.
Sang.
Souvenir.

- Euh… Haruhi-sama… Je…
- Oui ?
Haruhi sourit. Celle qui l’avait abordée s’appelait Mei Chôki, et elle était en première. Ce n’était pas la première fois qu’une jeune fille l‘abordait ainsi, depuis son entrée dans le club d’hôtes. Cependant, elle en était toujours aussi surprise. Elle faisait si « garçon » que ça ?
- Je voudrais… Enfin… J’imagine que vous ne pouvez pas répondre à mes sentiments, mais… Je voudrais… Enfin…
Haruhi pencha la tête sur le côté. Pour encourager son interlocutrice, elle lui sourit.
- Oui ?
- Je vous aime, Haruhi-sama.
Haruhi écarquilla les yeux. Elle ne s’était pas vraiment attendue à ça. Elle aurait dû s’en douter, pourtant. Mais… C’était si soudain…
- …
- … Je sais que vous ne pouvez pas m’aimer, mais… Pourriez-vous au moins me considérer comme votre amie ?
- Je… Euh… Oui, bien sûr !
Haruhi acquiesça gentiment.
- Dans ce cas… J’ai une chance !
L’œil de la jeune fille brillait d’un éclat étrangement avide, et Haruhi la regarda partir en courant, un peu surprise. Qu’avait-elle dit de mal ?
Considérer l’autre comme une amie… Pourquoi pas ? Mais elle ne pourrait en effet pas aimer Mei, vu qu’elle était elle-même une fille… Elle se gratta la tête. Cette histoire d’identité commençait sérieusement à l’ennuyer…
Elle arriva au club la tête dans les nuages, complètement chamboulée. En ouvrant la porte, elle tomba sur les six garçons, déguisés et prêts à accueillir une cliente.
- Mince, ce…
- N’était qu’Haruhi…
Les deux jumeaux Hitachiin, Kaoru et Hikaru, en seconde, se détournèrent. Comme d’habitude, ils étaient toujours aussi synchronisés. Haruhi soupira.
- Qu’est ce qu’il y a, Haru-chaaaaan ?
Haninozuka Mitsukuni, dit Hani, regarda Haruhi avec son petit air déboussolé. Elle lui sourit distraitement.
- Pas grand-chose, a part cette fille qui…
- Une fille a fait du mal à notre fille ! Mamaaan ! Tu as entendu ? Haruhi a été agresséééééééée !
Suo Tamaki, dit The King, le « roi » du cercle d’hôtes.
« Maman », autrement dit Ootori Kyoya, le vice-président du cercle, redressa ses lunettes sur son nez.
- Calme-toi, Tamaki.
- Haru-chaaaaan, qu’est ce qui t’es arrivé ?
- Eh bien… J’ai été interpelée par une fille, Mei Chôki, de première. Elle a dit m’aimer et m’a demandé si je voulais bien devenir son amie. J’ai dit oui et…
- Tu as…
- Accepté d’être amie avec une fille ?
Haruhi haussa les épaules.
- Ben oui, il n’y a pas de mal à ça… En plus, elle avait l’air triste…
- Tu sais…
- … Les vrais amis, chez les riches, c’est rare.
- Ah ?
Kyoya s’assit, et déclara, d’une voix mesurée :
- En clair, un ami est une personne très proche de toi.
- En clair, papa, maman et les autres membres du cercle sont tes seuls amis ! Considérer une cliente, ou cliente potentielle, comme une amie, c’est lui donner des faux espoirs ! Mamaaaaan ! Haruhi va être poursuivie par une perverseeeeeeee !
- Tamaki… T’es lourd.
Le grand blond alla bouder dans son coin, blessé.
- N’empèche… Mei Chôki… Je vais faire des recherches.
Kyoya se leva et partit, sans doute vers la bibliothèque.
- Et moi, je vais rentrer…
Mais avant qu’Haruhi est fait un pas, deux bras puissants la soulevèrent et la déposèrent sur l’épaule d’un grand brun.
Morinozuka Takashi, un mètre quatre-vingt-douze, prit la parole pour la première fois de la soirée :
- Je vais ramener Haruhi. On ne sait jamais.
- Ouiii ! Je viens avec Moriiii ! Il faut protéger Haru-chaaaaan !
- Je viens ! Maman ! Allons chez les prolétaires ! Mamaaaan ! … Où est Kyoya ?
- Euh…
- … Tamaki ?
- Mm ?
- Haruhi, Hani et Mori…
- … Sont partis.
- … Ah.



- Merci de m’avoir raccompagnée, Hani-sempai, Mori-sempai.
Haruhi monta directement dans sa chambre. Son père rentrerait tard, comme à son habitude, et elle ne pouvait l’attendre sans s’en tirer avec des cernes immenses. Elle soupira. Par la fenêtre, elle vit la voiture de Mitsukuni et Takashi disparaitre au coin de la rue.
La jeune fille n’ayant pas faim, elle décida de se coucher.


- … Je vous avais pas demandé de m’emmener à l’école, non plus.
- Tu veux pas faire le trajet avec moiiii ? Ouinnnn !
- Euh… Ne pleure pas, Hani-sempai.
Haruhi soupira. Assise dans la luxueuse voiture de Mitsukuni et de Takashi, elle se demanda pourquoi tout tombait sur elle. Enfin, elle avait de la chance, elle aurait pu tomber sur Tamaki… Ce n’était pas qu’elle ne l’aimait pas, mais le blond… Etait lourd.
- Nous sommes arrivés.
- … Tu as cours en quelle salle, Haru-chan ?
- … Arts plastiques, troisième étage.
- Ouinnnn, on a Technologie… C’est au sous-sol… Ouinnnn !
- … Ne pleure pas, Hani-sempai.
- C’est vrai, tu la verras au cercle, Mitsukuni.
Ledit Mitsukuni essuya ses larmes.
- C’est vrai ?
- Oui, ne t’inquiète pas. A ce soir, Hani-sempai, Mori-sempai !
- A ce soir, Haruhi.



- … Il y a quelqu’un ?
Haruhi entra dans la salle de musique, et découvrit Takashi en train de lire un livre, pendant que Mitsukuni dormait. Elle chercha les autres du regard, mais ne vit personne.
- Où sont Tamaki et les autres ?
- Tamaki est chez sa manucure, Kyoya semble avoir disparu de la circulation, les jumeaux sont collés. Et Mitsukuni dort.
- …
- …
- … Euh… Je vais faire du café, tu en veux ?
- … Oui, merci.
Haruhi se dirigea vers le coin cuisine et prépara deux tasses de café. Mais, en se dirigeant vers la salle principale, elle glissa et partit en arière, le plateau lui glissant des mains.
- Aaah…
Un bras la rattrapa, l’empêchant de se faire mal, tandis qu’un autre agrippait le plateau et les deux tasses, sans pour autant empécher le café de se renverser sur eux.
- Mo… Mori-sempai…
- … Je suis désolé. Mitsukuni a renversé du soda par terre, et je n’avais pas encore eu le temps de nettoyer.
- Ce… Ce n’est pas grave… Du moment que rien n’est cassé...
- Et du moment que tu ne te sois pas fait mal.
- Mori-sempai…
Takashi lui sourit. Et à ce moment, elle comprit qu’elle ferait tout pour préserver ce sourire.
Tout.

C’est toujours toi
Toujours pour toi
Rien que pour toi
Jamais pour moi
Moi, je peux tomber
Pleurer, me blesser,
Sourire, baisser ma garde
C’est encore toi qu’on regarde
Pourquoi ?
Se calmer, prendre sur soi
Je ne fais que ça
Mais c’est si dur
Pourquoi est ce que ça dure
Je n’en peux plus
Qu’on me tue
Je veux mourir
Je ne sais pas rire
Ce monde ne m’appartient pas
Je ne le reconnais pas
Je m’y perds
Rien n’est clair
Je ne vois rien
Ce monde, le tien
Je cours, trébuche, me relève
Je crie avec fièvre
Rien à faire
Rien à taire
Je suis prisonnier
De ce château, de leur volonté
Déesse indigne, vieilles sirènes
Vieux poissons adulant leur reine
Détestant son ennemi
Cherchant à briser mon ennui
Personne ne m’entend
Personne ne comprend
Personne ne cherche à me comprendre
Réduisant mes espoirs en cendre
Je pleure des larmes de haine
Où cela me mène ?
Je vous hais, tous, je vous hais
Tous pareils, tous si niais
Moi dans l’ombre et toi dans la lumière
Tu ne sauras jamais
Et pourtant moi je sais
Ce serait différent
Si je ne me savais pas enfant
Si je me prenais pour un démon
Au moindre son
Je me rappelle pourtant
Être moi, c’est être différent
Je ne te vois jamais seul
Je ne récolte que des regards veules
C’est toujours comme ça
Toujours pour toi
Moi dans l’ombre et toi dans la lumière
Moi haineux et toi fier
Moi pleurant
Toi riant
C’est si dur
Ils m’auront à l’usure
J’ai déjà craqué tant de fois
J’ai perdu la foi
Pourquoi est ce ainsi
Pourquoi suis-je ainsi
Je n’ai pas choisi
Je n’ai pas souri
Pourquoi l’ainé
Pourquoi le cadet
Pourquoi nous deux
Pourquoi est-ce toi le chanceux
Moi dans l’ombre et toi dans la lumière
Moi si sombre et toi si clair
Moi si noir et toi si blanc
Moi si mauvais, moi le tyran
Toi le doux, le gentil
Le sans-souci
J’espère qu’un jour ça changera
Qu’un jour tu sauras
Qu’un jour on grandira
Qu’un jour on échangera
Toi dans l’ombre et moi dans la lumière